R.A.P.-Échos n°21

AOÛT 1998


> Tous les numéros de R.A.P.-Échos

Dans ce numéro :
R.A.P. change de tête
Vers un poste de permanent
Compte rendu sommaire de l'assemblée générale
Jonchée dans un autobus
Publicité clandestine au cinéma : étude d'un cas
Devant une queue de cinéma
La nuit des publivores ou le choc des sectes
Sur le front des boîtes aux lettres

 

R.A.P. change de tête


L'assemblée générale constitutive de R.A.P. (20 juin 1992) m'avait élu président, parce que j'étais l'un des plus jeunes et des plus engagés dans notre lutte. Lors d'une des premières réunions du conseil d'administration, la même année, nous étions convenus de me maintenir à ce poste deux ou trois ans, pas plus, le temps de mettre l'association sur les rails. À la fin de l'année, j'avais réalisé, grâce aux contributions des principaux fondateurs, le premier numéro de notre journal, R.A.P.-Échos. Dans la foulée et par souci de simplicité, je m'étais désigné moi-même, avec l'accord du conseil, directeur de publication.

La dernière assemblée générale (27 juin 1998) a élu un nouveau président : Thomas Guéret. Par ailleurs, ce numéro de R.A.P.-Échos est le dernier dont j'assume le contenu comme directeur de publication. Personne ne s'est encore proposé pour remplir cette fonction. Voilà pour les faits. Maintenant, quelques explications.

Pendant ces six années, la joie et l'orgueil de tenir les rênes d'une telle association n'ont pas réussi à me faire oublier que j'étais un président par défaut, aucun autre candidat à ce poste ne s'étant jamais présenté. Toutefois, je ne me considère pas aujourd'hui comme démissionnaire. J'ai déclaré à l'assemblée générale que je me tenais à la disposition de l'association, tout en lui recommandant d'élire à ma place Thomas Guéret. Pourquoi ? Outre la part de non-dit, de non-su, qui relie un militant à son action, un président à sa fonction, je vois au moins trois raisons.

D'abord : tenir l'engagement de 1992, quant à la durée de mon mandat, largement expiré ! Ensuite : l'arrivée de Thomas Guéret, dont il ne m'appartient pas de décrire ici les atouts et les qualités, mais qui, le premier, a su m'inspirer suffisamment confiance pour que je lui propose (en avril dernier) de me succéder. Enfin : ces derniers mois, des critiques m'étaient parvenues, directement ou indirectement, quant à ma place dans l'association. Une place depuis toujours hypertrophiée, non pas tant en raison de ma personnalité que d'une aberration structurelle qui fit de moi, dès le premier jour, le seul point de contact avec l'extérieur. Tout ou l'essentiel passant par mes mains, mes yeux, mes oreilles, j'étais un président-entonnoir. D'où, d'ailleurs, mon vieux souhait, aujourd'hui réalisé, que R.A.P. dispose d'un local ou tout autre que moi puisse aller fourrer son nez dans la marmite.

Un mot sur R.A.P.-Échos. (Que ceux qui n'aiment pas la publicité passent directement au paragraphe suivant.) Pas de fausse modestie ! J'aime ce journal, qui me paraît classique. Son sérieux, sa rigueur, sa véridicité, son respect de la langue française le distinguent d'un certain nombre de " cousins " dont la vertu subversive, en même temps que le crédit, s'évaporent à force de laisser-aller. Quant à l'absence totale d'illustrations (une gageure, en six ans !), elle contribue à cette austérité qui me plaît, mais que certains, peut-être à juste titre, reprochent à notre journal.

C'est le moment de rendre ici hommage à mon amie Marie Taupin, notre rédactrice en chef, qui mit son grain de sel dès le deuxième numéro, et que l'on autorisa officiellement à nous faire souffrir, nous, les rédacteurs, à partir du troisième. Une souffrance, en effet, que de devoir sans cesse récrire, couper, recouper, ajuster, pour accéder à la... perfection ! Mais un bonheur, pour moi, que cette collaboration avec elle, sans parler de notre commun classicisme.

Je l'ai dit, je renonce à ma fonction de directeur de publication, liée, dans mon esprit, et en ce qui me concerne, à celle de président. Je resterai, sauf avis contraire, le correcteur de R.A.P.-Échos. Marie est prête, elle, à conserver sa fonction.

Pour finir, j'évoquerai, brièvement pour ne pas ennuyer ceux qui ne l'ont pas connu, la figure essentielle de René Macaire, marchand de balais, devenu psychologue puis philosophe, et qui dort, là-bas, dans la terre de Crépy-en-Valois, depuis 1993. C'est lui qui me proposa, en 1991, de réunir nos amis respectifs toute une journée pour déballer nos griefs à l'encontre de la publicité. C'est lui qui anima cette fameuse réunion d'une vingtaine de personnes à Pantin, le 19 octobre de cette année-là. C'est lui qui présida encore la deuxième réunion au même endroit, le 15 février 1992, et dirigea la constitution du petit dossier fondateur, " La Publicité en cause, appel à la résistance ". C'est lui enfin qui présida l'assemblée générale constitutive de R.A.P., le 20 juin suivant, toujours à Pantin, dans cette " MAAFORM " choisie pour être le siège de l'association.

Sans préjuger des divers engagements extérieurs des membres de R.A.P., je me permets de rappeler ou révéler ceci : René, chrétien et disciple de Ghandi, était un non-violent. Moi-même, agnostique et anarchiste, je pratique volontiers l'ironie et l'insolence. Thomas, mon successeur, est, notamment, écologiste. En rapprochant, maladroitement peut-être, ces quelques étiquettes ou références imparfaites, je cherche seulement à donner une idée du sang qui coule dans les veines de R.A.P., du moins de son équipage.

Quant à ceux qui, ne me voyant plus au gouvernail, penseraient que j'ai quitté le navire, qu'ils jettent donc un œil vers le haut du mât... ! " Publicitaires à tribord ! "

Y.G.

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Vers un poste de permanent


Après avoir décidé, l'hiver dernier, de se doter d'un permanent, R.A.P. a lancé, ce printemps, un appel en direction de ses adhérents, en vue de financer collectivement l'embauche d'un " emploi-jeune ". Un compte bancaire spécial va être ouvert, qui sera alimenté grâce aux prélèvements automatiques effectués chaque mois sur les comptes des volontaires. Ces derniers sont déjà une quarantaine, et les réactions suscitées par l'appel réconfortantes.

Pour connaître les détails et participer financièrement à l'embauche du permanent, envoyez-nous une enveloppe timbrée à votre adresse (précisez " pour le permanent ").

 

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Compte rendu sommaire de l'assemblée générale

L'assemblée générale ordinaire de R.A.P. s'est tenue, le 27 juin 1998, à la Maison des ensembles (3, rue d'Aligre, Paris).

Depuis l'assemblée générale précédente, l'activité de R.A.P. est restée très faible, tant au niveau des actions, puisque seules les traditionnelles interventions de Noël et de la Nuit des publivores ont été menées, qu'au niveau de la motivation générale. Nous avons notamment enregistré une centaine de renouvellements d'adhésion seulement, en un an, alors que R.A.P. compte d'ordinaire 220 adhérents. Quant à la situation financière de R.A.P., elle se résume en deux mots : zéro franc ! Heureusement, grâce aux avances sur trésorerie concédées, à titre provisoire, par le président sortant, le compte bancaire n'est pas à sec : de quoi assurer le fonctionnement quotidien de l'association.

Cependant, des nouveautés sont apparues, que l'on peut interpréter comme signes d'un redressement : des réunions mensuelles ont été organisées avec, pour chacune, un compte rendu détaillé. L'association a lancé un appel pour se doter d'un local ; c'est chose faite, grâce à l'aide d'un adhérent. La réflexion concernant la création d'un poste de permanent, enfin, a progressé et débouché sur la proposition faite aux adhérents de le financer " solidairement ".

Au cours de l'assemblée, le conseil d'administration est élu : en plus des membres sortants, tous reconduits, deux nouvelles font leur entrée (Guillen Deschamps et Christine Poncet), et deux anciens leur rentrée (Pierre Carde et Laurent Leguyader). Le bureau est entièrement renouvelé : Thomas Guéret (président), Daniel Tiran (secrétaire général), Thomas Jeanneret (trésorier).

L'impression laissée par l'assemblée générale est positive. Espérons que le redressement amorcé portera ses fruits. Cela dépend, bien entendu, de chacun d'entre nous : serrons-nous les coudes !

T.G.

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Jonchée dans un autobus

Actions-bus n°1 et 2

Pour les passagers d'un bus, l'alternative est-elle fatalement de s'asseoir ou de rester debout ? R.A.P. vient de prouver que non...

Un tournoi de football aux forts enjeux commerciaux s'est déroulé en France, en juin et juillet 1998. Tout le monde s'est cru obligé d'en parler : Etat, médias, entreprises, commerces... et citoyens. Point n'était besoin, donc, de s'informer : la rue elle-même résonnait du bruit des stades.

A cette occasion, certains autobus ont contracté un mal étrange tenant de la vérole et de l'éléphantiasis : l'emballage publicitaire. Emballés, donc, en totalité - à l'exception du pare-brise et des rétroviseurs -, par un film plastique, imprimé dans le plus pur clinquant rococo publicitaire - oh ! ce rose ! oh ! ce bleu ! oh ! ce caca d'oie ! -, à la gloire de yaourts, de parfums, etc. Parée, une fois de plus, de ses plus beaux atours de carton-pâte, la publicité tente de dissimuler ses visées propagandistes et liberticides sous une fantaisie de pacotille. Emballés, donc, et jusqu'au dernier centimètre, les parois, les portières, le dessus des fenêtres, mais aussi... les fenêtres elles-mêmes, parfaitement opaques. Le numéro de la ligne, sur les côtés, se perd sous la dégoulinade. A l'arrière, il ne se perd pas : il a disparu. Ce ne sont plus des bus, mais des tubes de dentifrice. Et quelle bonne pâte renferment-ils ? L'usager, retenu prisonnier derrière les fanons de la baleine publicitaire. S'il ne descendait aux arrêts, on douterait de sa présence à l'intérieur...

C'est à sa rencontre, sur les lieux mêmes de son enfermement, que des membres de R.A.P. se sont rendus, les 6 et 16 juillet 1998.

Le 6, à 18 h 45, à l'arrêt Luxembourg, neuf militants montent dans un autobus reconverti en pot de yaourt bleu. Surprise ! Il y a des gens à l'intérieur. Du dehors, ils n'étaient pas visibles. La lumière, digne d'une fourgonnette de police, y est tamisée par un quadrillage obscur collé sur l'extérieur des vitres : on a du paysage une vision assez floue. Quel symbole, que cette nasse autour des usagers ! L'image même du grand quadrillage publicitaire exercé sur toute la population. Les militants distribuent un tract, même au chauffeur, ainsi qu'une carte-pétition illustrée (" Dis, Papa, comment c'était, les bus, quand on pouvait regarder par la fenêtre ? "), destinée au ministre des Transports (voir Informations, p. 4).

Tandis que le bus poursuit sa route normalement, un forum s'instaure à l'intérieur. La plupart des passagers approuvent l'intervention. A noter toutefois que certains ne s'étaient même pas rendu compte qu'ils étaient dans un bus " travesti ".

Après quelques minutes, certains manifestants craignent de s'ennuyer : ils savent qu'un militant qui ne s'amuse pas finit par s'aigrir ou se lasser. Ils pensent qu'une jonchée - par exemple - ajouterait à la protestation une note symbolique. Après s'être assurés qu'une majorité de leurs compagnons y sont favorables, ils s'allongent par terre, bout à bout, sur un côté du couloir. Une militante s'assoit simplement sur le sol.

Changement d'ambiance. Des passagers, interloqués, sourient tout de même. Une dame réprouve : " Dommage ! J'allais signer votre carte, mais si vous faites ça, on n'a plus envie de vous suivre. " Un jeune homme enchérit : " Vous êtes ridicules, ça ne vaut pas ça, il y a des choses plus importantes. - Quoi, par exemple ? demande l'un des allongés. - L'environnement. - Vous ne pensez pas que notre action concerne l'environnement ? " Le jeune homme ne répond pas, il descend juste après. Les passagers qui montent à chaque arrêt ont de quoi être surpris : trois gisants dans un autobus... On les rassure, on leur explique, on leur remet des tracts, tout en les guidant vers l'arrière, le long des corps couchés.

Le chauffeur, lui, s'énerve. La violence, il connaît, il a suivi des stages. Mais la non-violence ? Il prévient sa hiérarchie par téléphone et ordonne - en vain - aux publiphobes de cesser. A l'un des arrêts suivants, près des Invalides, il reçoit le concours d'un collègue qui monte dans le bus. Tous deux tentent de raisonner les trublions, ils menacent. Les passagers s'impatientent. Pour dégeler la situation, les gisants se relèvent. Le bus repart. Vingt secondes après, les gisants se recouchent. Les passagers se font peu ou prou à l'insolite, mais la tension monte dans la cabine du chauffeur.

19 h 15, Kléber-Boissière, bien avant le terminus. Le chauffeur s'arrête, coupe le moteur et invite les passagers à prendre le bus suivant - lequel n'a rien, presque rien, d'un tube de dentifrice. Tout le monde descend, sauf les militants, indécis. Mais le calme soudain du chauffeur leur fait soupçonner un piège : ils descendent à leur tour. Sur le trottoir, une passagère s'informe avec enthousiasme sur l'association et accepte de donner ses coordonnées pour servir de témoin, le cas échéant. Sait-on jamais ? Quant au chauffeur, il reprend le volant de son pot de yaourt pour continuer sa course à vide.

19 h 30. Les militants, eux-mêmes surpris, se concertent joyeusement sur la suite de l'action, quand passe, sur l'autre côté de l'avenue, un flacon de parfum rose géant ! Et les neuf moineaux de s'y précipiter en piaillant. A l'intérieur, même ambiance glauque. Malheureusement, ce bus (ligne 30) est presque en fin de parcours : quelques mètres plus loin, Trocadéro, terminus. Mais le chauffeur, interrogé, annonce qu'il repartira bientôt, direction gare de l'Est. Les militants prennent place, décidés à faire toute la ligne.

Arrive une voiture de police : cadeau du précédent chauffeur ? Deux agents montent dans le flacon de parfum, où neuf passagers sont tranquillement assis... Un policier gronde : " Qu'est-ce qui se passe ici ? Alors, on manifeste ? " Les neuf saintes nitouches restent coites. Le chauffeur apporte son concours : " Personnellement, ces gens ne me dérangent pas. " Aux questions persistantes du policier, certains militants finissent par répondre, qui sur le ton de la comédie - " Ah ? il y a donc une manifestation ? Où ça ? " -, qui plus sincèrement - " Oui, nous manifestons contre la publicité. " Finalement, exit les deux képis, bredouilles.

19 h 40. Le bus redémarre. Dix minutes plus tard, on passe au pied de l'Arc de triomphe : re-jonchée. Couché sur le sol, un des gisants avise avec humour les passagers qu'ils sont tous, à cette seconde précise, complices d'une infraction : toute publicité est en effet interdite aux abords des monuments historiques. L'animation croît dans le flacon rose, à mesure qu'il se remplit. L'ambiance est de moins en moins glauque. Le chauffeur, confiant et souriant, s'en remet aux militants verticaux pour assurer l'ordre dans le bus et guider les nouveaux arrivants le long des militants horizontaux. Ceux-ci se remettent debout, dès que l'affluence devient trop importante.

20 h 15. Après un parcours sans encombre, gare de l'Est, terminus, tout le monde descend. Le président de R.A.P. serre la main au chauffeur et le remercie pour sa coopération. Les militants se retrouvent autour d'un pot pour faire le bilan, qui se révèle tellement positif qu'une deuxième action est décidée. Rendez-vous est pris pour le 16 juillet, devant la gare de l'Est.

Dans les jours suivants, un communiqué de presse est envoyé (voir Informations, p. 4) pour relater l'action du 6 et annoncer celle du 16. Par ailleurs, un militant parvient, grâce à une ruse, à soutirer à la R.A.T.P. des informations préoccupantes : les autobus malades ne sont pas près de guérir, et les symptômes perdureront au-delà du tournoi de football ; à Paris, mais aussi dans d'autres villes. Le 16 au soir, vers 18 h, sept militants se retrouvent au lieu convenu. Deux journalistes (du Monde et du Figaro) sont au rendez-vous. La pluie aussi : un déluge !

Les militants remontent dans un tube de dentifrice, dont le sol mouillé empêche cette fois la jonchée ; les contacts avec les passagers se déroulent d'autant plus tranquillement. Au terminus, place du Trocadéro, les militants descendent coller une affiche " Publicité, ras-le-bol ! " sur l'un des côtés de l'autobus. Une journaliste photographie le groupe en train de poser devant la baleine capturée. Et l'on remonte pour refaire toute la ligne en sens inverse. Bilan : pas de mort ni de disparu, mais un " blessé ", qui a dû " sortir de scène " prématurément, pris d'un malaise qu'il attribue lui-même à la modification du champ de vision par le quadrillage des vitres.

Dans les semaines suivantes, la presse relate l'intervention (Le Figaro du 18 juillet, avec une photo, Le Canard enchaîné du 29, L'Express du 30, Le Monde et Le Parisien du 1er août ; le président de R.A.P. passera au journal régional de France 3).

Ces actions auront-elles contribué à faire reculer l'occupation du paysage et des esprits ? Il reste en tout cas que, pour un demi-millier de témoins, cette mise en cause d'un procédé publicitaire aura pu amorcer une réflexion sur le système publicitaire.

Y.G.

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Publicité clandestine au cinéma : étude d'un cas

Le 26 mars 1998, deux membres de R.A.P. (Jean-Christophe Hervé et Jean-Claude Oubbadia) sont allés voir au cinéma Les Couloirs du temps : les Visiteurs II. Chacun muni d'un carnet, d'un crayon et d'une lampe sourde, ils n'avaient pas l'intention de se distraire car leur présence répondait à une mission précise : enregistrer le nombre et la nature des publicités glissées dans le film à l'insu des spectateurs.

En guise de préliminaires, avant le long-métrage, ils furent confrontés, pendant une vingtaine de minutes, à : 5 bandes-annonces de film et 11 spots de publicité avouée.

Les Visiteurs II présentent au moins 64 marques ou produits clairement identifiables. " Au moins 64 ", car il peut y en avoir davantage, plusieurs ayant pu échapper lors des scènes rapides, et la vigilance de deux personnes paraissant faible pour établir un résultat incontestable. En tout cas, ce chiffre ne comptabilise pas les répétitions, c'est-à-dire les marques ou produits privilégiés qui reviennent constamment dans l'action : il s'agit donc de 64 marques ou produits différents, le nombre global des intrusions publicitaires avoisinant la centaine. Ce, en 1 h 50 de projection.

Au poids quantitatif de cette publicité parasite, il convient d'ajouter un impact qualitatif : la typologie des marques et leur voisinage dans le récit participent à la pression publicitaire. Ainsi la catégorie de produits la mieux représentée concerne l'automobile. Elle vient en tête avec 17 marques formant un ensemble cohérent : 4 fabricants étrangers, 4 modèles de véhicule, 1 fabricant de véhicules utilitaires, 2 loueurs de véhicules, 3 fabricants d'outillage, 2 distributeurs de carburant, 1 huile pour moteur.

La deuxième catégorie, alimentaire, est également cohérente et comprend 15 marques : 4 aliments salés, 3 aliments sucrés, 2 boissons, 1 chaîne de distribution, 2 entreprises de restauration et livraison à domicile, 1 traiteur de luxe, 1 réfrigérateur, 1 annuaire de la restauration.

La troisième catégorie - 12 produits - concerne les drogues pour le corps et l'esprit : 3 alcools, 2 vins, 1 apéritif, 1 bière, 1 boisson gazeuse à la caféine, 1 cigare, 2 modèles de téléviseur, 1 antidépresseur.

Vient en quatrième place ex æquo, avec 12 produits également, la catégorie, un peu floue, des mondanités et de la réussite sociale : 1 joaillier, 1 maroquinier, 1 marque de prêt-à-porter de luxe, 2 marques de téléphone portable, 1 fleuriste, 1 parcours de golf, 1 cirque, 1 marque de bateau pour la plage et l'aventure, 1 marque de matériel de sonorisation et d'orchestre, 1 jeu de hasard, 1 produit financier.

Pour la cinquième catégorie, il s'agit de 4 produits à caractère culturel : 1 revue féminine, 1 revue sur les artistes du spectacle, 1 quotidien, 1 marque de papeterie.

La sixième et dernière catégorie, la plus curieuse, comprend 4 services publics : Les Hôpitaux, la Gendarmerie nationale, les Pompiers, la Poste.

Si, au terme de cet inventaire, le lecteur est encore tenté de se représenter le cinéma comme fidèle à la vie telle qu'elle est, donc saturée de messages publicitaires, qu'il sache que de très nombreux films, loin d'être payés pour vanter les marques, prennent au contraire sur leur budget pour réaliser des objets " muets ", tels qu'on en rencontre tout de même dans la vie quotidienne, et ne rappelant aucune marque existante.

Dans Les Visiteurs II, la stratégie publicitaire est tout autre et se mesure à la fréquence d'apparition des produits privilégiés. Intégrés au scénario, cités dans les dialogues, ils participent à l'action et sont même vantés par les personnages. Identiques intentions pour les nombreux jeux de caméra, parfois peu soucieux d'efficacité dramaturgique, mais prompts à s'alanguir sur les logos et les produits de toutes les entreprises " partenaires ". Enfin, a contrario - et puisqu'il faut bien différencier les entreprises qui paient de celles qui ne paient pas -, des objets sont ostensiblement minorés, retournés, et certaines voitures, modèles exclus, reléguées en fond de parking dans le flou des arrière-plans.

Digression. L'argument des Visiteurs II repose sur la comparaison de deux périodes historiques, selon un schéma opposant la grossièreté prétendue des mœurs médiévales à la normalité supposée de notre époque. Les réalisateurs auraient très bien pu compléter le tableau de cette opposition convenue en illustrant l'analogie qui, au contraire, rapproche les féodaux de nos grands annonceurs. Les uns et les autres posent leurs armoiries (leurs marques) sur tout ce qu'ils possèdent, de manière à bien le faire savoir, et, pour cette même raison, les uns et les autres affichent partout leur devise (leur slogan). " Passavant le meillor " (le meilleur en avant) n'a-t-il rien à voir avec " (marque de lessive) lave plus blanc " ? Le fier " Je feray ce que je diray ", jeu de mots sur le nom des Jefferay, ou " J'aime à jamais ", autre jeu de mots sur le nom des James, n'anticipent-ils pas sur la trouvaille publicitaire " I like Ike " qui fit le succès de la campagne du président américain Ike Eisenhower ?

À sept siècles de distance, les féodaux et les grands annonceurs (ceux-ci avec l'aide de leurs publicitaires liges) sont animés de la même morgue. Les premiers célébrant leurs propres vertus, et les seconds s'efforçant, sous couvert de fiction cinématographique, de nous asservir à leurs visées. De la sorte, les 1 033 447 spectateurs (selon les chiffres avancés par une certaine presse) qui seraient venus assister à la projection du film se retrouvent, de surcroît, préconditionnés à l'achat de 64 produits.

J.-C.H. et J.-C.O.

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Devant une queue de cinéma

Au printemps de 1998, un membre de R.A.P. (Robert Heymann) est allé devant le cinéma du Blanc (Indre), qui projetait Les Couloirs du temps : les Visiteurs II. Il a distribué aux spectateurs qui faisaient la queue un petit tract réalisé par lui-même, intitulé " Les Envahisseurs " : " Vous ne vous intéressez pas à la PUBLICITÉ. Les PUBLICITAIRES, eux, s'intéressent à vous. Dans les rues, sur votre propre vêtement, sur les routes, à la télévision et dans bien d'autres lieux, la PUBLICITÉ investit vos esprits. Vous avez aimé Les Visiteurs I, avec sa dizaine de PUBLICITÉS, vous aimerez donc 6 fois plus Les Visiteurs II, avec environ 60 PUBLICITÉS. Mais tout cela est vraiment sans importance et ne mérite certainement pas ces quelques lignes. Bonne soirée ! " Le tract était signé R.A.P. (avec l'adresse). Bon accueil du public, mais le directeur du cinéma, visiblement, boudait.

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La nuit des publivores ou le choc des sectes

Le vrai collectionneur est un aventurier, explorateur solitaire sur un sentier perdu. Il arrive même que le sentier n'existe pas : il défriche alors, courageusement, à mesure qu'il avance. Parfois, au contraire, le collectionneur se contente d'accumuler, bêtement, ce que d'autres accumulent déjà, mieux ou plus. Ou bien c'est un petit malin. Imaginez, par exemple, un collectionneur de photos dédicacées de dictateurs : les dictateurs aimant dédicacer leur photo, il n'a aucun mérite, et sa collection aucune valeur réelle. Imaginez maintenant un collectionneur de films publicitaires. Leurs auteurs et leurs commanditaires ayant tout intérêt à ce que leurs films soient vus le plus grand nombre de fois par le maximum de personnes, ils se chargent d'alimenter eux-mêmes la collection. Le petit malin, alors, n'a rien à faire. Loin d'être un pionnier, un défricheur, un explorateur, il ne fait que servir les puissants. Quel avantage ce vassal tire-t-il de sa servitude ? On lui ouvre grand les plus prestigieuses salles de spectacle, afin qu'il y projette ses films des nuits entières. Et pour l'aider à remplir les salles, on lui ouvre auparavant les colonnes des journaux et les ondes hertziennes.

Telle est l'astuce, la seule, du producteur de la " Nuit des publivores ". Cet ancien publicitaire, collectionneur de films qu'il n'a pas besoin d'aller chercher bien loin puisqu'on les lui envoie du monde entier, non seulement contribue au bon fonctionnement de la machine économique - la publicité tenant lieu à la fois de carburant et de lubrifiant -, mais parvient, par voie d'affiches suggestives et à force d'interventions dans la presse, à drainer vers ses projections un certain nombre de jeunes et ainsi à rentabiliser sa collection. N'avoue-t-il pas d'ailleurs lui-même : " Ça nous coûte cinq millions par an d'entretien. Donc, il faut arriver à faire 80 à 85 représentations annuelles pour couvrir les frais de gestion de ce stock " (France Inter, 20 mars 1998).

Le 20 mars 1998, donc, lors de la projection parisienne de cette collection ambulante, R.A.P. était présente, comme chaque année, pour tenter d'éclairer quelque peu ces spectateurs naïfs, attirés par le battage fait autour de ce qu'on a réussi à leur présenter comme une occasion de se défouler. Cette fois, cela se passait dans le gigantesque cinéma Rex, devant lequel un quasi-millier de personnes se pressaient déjà, deux heures avant l'ouverture des portes.

Dix-neuf sympathisants de l'association (dont un auditeur de France Inter, averti, le matin même, grâce à l'intervention de Robert Heymann, administrateur de R.A.P., sur les ondes de cette radio) se sont déplacés pour prendre part à l'action, qui a pour thème, cette année : les sectes. La publicité n'est-elle pas en effet, par ses méthodes et son emprise sur les cerveaux les plus faibles, assimilable à une secte ? La secte à domicile, en quelque sorte : inutile de vous déplacer, restez chez vous et contentez-vous d'ouvrir votre journal, d'allumer votre radio ou votre téléviseur.

Dix sympathisants sur les dix-neuf sont volontaires pour faire l'homme-sandwich, un écriteau sur le ventre, un autre dans le dos. Sur sept ventres apparaissent les noms de sept sectes officiellement répertoriées comme telles. Sur un huitième, le nom d'une secte non officiellement répertoriée comme telle : " P.S.G. " (l'équipe de football de Paris, connue pour le décervelage de ses adeptes) ; sur un neuvième ventre, " Coupe du monde de football " (une grande opération publicitaire annoncée bruyamment pour l'été suivant) ; et, sur le dixième ventre : " Publivores, la nuit ".

Quant aux dix dos, chacun porte un des dix mots (ou signes de ponctuation) d'une phrase qui ne sera lisible que quand les hommes (et femmes)-sandwichs seront en ligne : " LA-NUIT-DES-PUBLIVORES-MENT-,-NUIT-!-!-! "

A partir de 22 h 30, les rabat-joie arpentent donc le trottoir devant l'interminable queue des clients du petit malin. Avec l'espoir que leurs écriteaux, mais aussi leurs tracts et leurs propos favoriseront, dans l'esprit de quelques publivores, un amalgame propre à stimuler la réflexion. Une oie céramique plus vraie que nature, juchée sur l'épaule d'un militant, sert de mascotte aux provocateurs.

A minuit, les portes s'ouvrent, et la foule s'engouffre.

Y.G.

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Sur le front des boîtes aux lettres :

 

Pénalisée pour avoir défendu sa boîte aux lettres...

Une habitante du 65, boulevard Arago (Paris), dont la boîte aux lettres était la seule à porter, depuis 1996, un autocollant antipublicitaire, s'était vu arracher celui-ci, en mai 1997, sur ordre du gérant de l'immeuble, lequel lui avait ensuite écrit : " Le nettoyage de votre boîte aux lettres vous sera facturé 240 F lors du prochain quittancement (...) Je désire conserver cette résidence propre. "

En septembre suivant, la dame, scandalisée, alerte R.A.P., qui lui donne un exemplaire de sa pétition, qu'elle fait signer par ses voisins avant de la retourner à l'association. En décembre, celle-ci, voulant obtenir réparation de l'abus, se voit refuser un rendez-vous par le gérant. Ce dernier écrit néanmoins à la dame en février 1998 : " Je ne remettrai pas en cause ce qui vous a été facturé ; en revanche, je demande à ce que soit apposée une mention interdisant l'accès à la résidence aux distributeurs de prospectus. " Le mois suivant, la dame informe R.A.P. que le code d'accès à son immeuble a été changé et que deux écriteaux ont bel et bien été posés à l'entrée et près des boîtes aux lettres. Conciliante, elle se dit satisfaite et renonce aux 240 F perdus, qu'elle destinait à R.A.P. en guise de remerciement.

Le procès

Yvan Gradis, de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), a porté plainte, fin 1997, auprès du tribunal de Nanterre, contre un distributeur de prospectus entré dans son immeuble, protégé par un code d'accès, à l'aide d'un passe-partout issu de la Poste. Grâce à l'aide financière de 111 donateurs (le tribunal demandait 5000 F), la plainte a été déclarée recevable. Le plaignant, s'étant doté d'une avocate, début 1998, a lancé un nouvel appel pour réunir la somme de 20 000 F prévue par elle pour ses honoraires. Au 31 juillet, ce sont déjà 122 donateurs qui ont envoyé globalement 15 883,50 F.

Pour ce qui est de la procédure elle-même, un juge d'instruction a été désigné en janvier par le tribunal ; ce juge a délivré, en février, une commission rogatoire, confiant l'enquête aux gendarmes de Nanterre ; en juin, on a appris que les gendarmes avaient retourné au juge ladite commission rogatoire en le priant de l'attribuer aux services de police qui ont lancé l'affaire, eux-mêmes ne disposant pas du temps nécessaire pour effectuer cette enquête. Pour savoir cela, il en aura coûté 603 F aux donateurs.

Sur les détails, la chronologie de l'affaire et les modalités de témoignage et de contribution financière, voir notre dernier numéro (R.A.P.-Échos n° 20).

L'autocollant R.A.P.

Enfin ! Il est arrivé ! Le tout premier autocollant jamais conçu par R.A.P. ! Dimensions : 8 x 4,5 cm ; couleurs : vert et noir sur fond blanc ; texte : " Pas de publicité dans cette boîte aux lettres, merci " (avec les coordonnées de l'association) ; illustration : un facteur empêché de glisser une lettre d'amour dans une boîte aux lettres à cause du trop-plein de prospectus ; prix : 5 F.

Pour ceux qui n'aiment pas les images ou manquent de place, existe une version réduite, sans l'illustration. Dimensions : 8 x 2 cm ; prix : 5 F aussi.

Commandes : nous envoyer autant de fois 5 F que d'autocollants désirés (timbres acceptés), ainsi qu'une enveloppe timbrée portant votre adresse (n'oubliez pas de préciser " pour ... autocollant(s)"). Pour information, une enveloppe normale, avec un timbre normal, peut accueillir jusqu'à 10 grands ou 20 petits autocollants.

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