R.A.P.-Échos 3

R.A.P.-Échos n°3
JUILLET 1993


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Dans ce numéro
Le dragon chez le lion (improvisation théâtrale)
Un caméraman face à la publicité
Affaire Sangalli (graffiti sur une affiche)
D'un questionnaire à l'autre

Le dragon chez le lion (improvisation théâtrale)


Le 30 juin a eu lieu, dans une salle de cinéma parisienne, la première action spectaculaire de Résistance à l'Agression Publicitaire.

Vers 19h, une dizaine de militants de l'association se retrouvent sur les Champs-Élysées, à quelques pas du cinéma Publicis-Élysées, où passe le film les Visiteurs. Ils mettent au point le scénario imaginé par deux d'entre eux, un quart d'heure plus tôt, en remplacement de celui prévu initialement. Vers 19h45, ils se rendent devant le cinéma et distribuent aux spectateurs le tract suivant:

Les autres "Visiteurs"

Vous allez voir le film de Jean-Marie Poiré : Les Visiteurs (1993).
Avant cela, vous allez subir un quart d'heure de publicité. Que vous le vouliez ou non.
Quand le film commencera, la publicité ne sera pas terminée: pendant la projection, vous serez soumis, sans vous en rendre compte, à un certain nombre de messages publicitaires clandestins. Quelques marques vous apparaîtront, le temps d'une ou quelques secondes, dans le décor ou les dialogues : tabac, parfum, journal, champagne, restaurant ,carte bancaire, eau minérale, produit laitier, société de location de voiture, etc. Chaque marque a payé pour être vue ou entendue de vous pendant le film.
Si l'intrusion de ces "visiteurs" vous inspire quelques commentaires, notre association sera très heureuse de les recueillir.
Et maintenant, place au rire et à la détente !

Résistance à l'Agression Publicitaire , 61, rue Victor Hugo,93500 Pantin, T. (1) 46.03.59.92

A ce moment-là, Marcel Bleustein-Blanchet, patron-fondateur (en1926 !) de l'agence publicitaire qui possède et jouxte le cinéma, sort de celle-là sans s'apercevoir de rien. A 19h55, début de la séance, les militants entrent dans la salle, où se trouvent bientôt une centaine de spectateurs, et s'installent plutôt vers l'avant, sur plusieurs rangs.

A 20h05, quelques minutes avant la fin de la publicité, celui qui est assis le plus près de l'écran se lève et se retourne vers le fond de la salle. Les autres l'imitent. Tous restent debout, immobiles et muets, face aux spectateurs intrigués. Une longue minute passe avant que l'un d'eux, s'inspirant d'un slogan venu des haut-parleurs, ne profère : "L'aventure, c'est la publicité !". Et les antipublicitaires de rivaliser d'ironie pour rendre hommage, à tour de rôle, à ce que déverse l'écran dans leur dos : "La publicité, c'est la fleur de la vie !...C'est la vérité!...Ce n'est pas le fascisme !...C'est de l'art !...C'est l'avenir !...C'est la liberté !...La publicité m'a permis de rester jeune !...J'ai trouvé ma femme grâce à la publicité !...Il faut aimer la publicité parce qu'elle vous aime !...etc." Le responsable de la salle surgit et, désarmé devant ce contre-spectacle, prend le public à témoin. Mais celui-ci, à deux ou trois exceptions près, n'exprime pas de mécontentement particulier.

"Fin de citation !" crie enfin l'un des "comédiens" en guise de signal convenu. La petite troupe quitte alors les rangs pour rejoindre une allée latérale, et monte en bon ordre sur la scène, au pied de l'écran. Une fois en ligne, elle salue le public, qui lui répond par de généreux applaudissements. Tandis que l'employé prévient qu'il appelle la police, chacun retourne à sa place comme prévu par le scénario. C'est justement la fin de la publicité.

Il est près de 20h15, le film doit commencer. Mais les lumières rallumées ne s'éteignent pas, et le rideau reste fermé. Alors que l'étonnement commence à gagner la salle, le responsable réapparaît, escorté de trois policiers. Il demande aux militants de le suivre. Ces derniers, soutenus par quelques protestations du public impatient, ne bougent pas. Tout le monde scande : "le film! le film !" L'employé aux abois déclare haut et fort: "Je prends sous ma responsabilité le fait que la projection ne commencera pas, tant que ces gens ne seront pas sortis !" Le président de R.A.P. se lève et déclare haut et fort : "Et moi, je prends sous ma responsabilité le fait que nous n'interromprons pas le film, puisque nous ne sommes pas venus pour cela ! Nous ne sommes pas des iconoclastes, nous. Nous respectons les œuvres, les vraies, pas la publicité ! Nous n'avons donc aucune raison de sortir et nous ne sortirons pas !"

Exit la police, sans vérification d'identité (sans doute détient-elle un des tracts, où figure l'adresse de l'association).Après un bref suspense, les lumières s'éteignent et le film commence. Un publiphobe s'exclame à l'oreille d' un autre: "Quelle victoire !"

- Quelle victoire ? Celle d'une bande de joyeux impertinents venus défier, cinq minutes, la pesanteur du conditionnement publicitaire ? Non, mais celle d'un état d'esprit, d'une attitude, que nous voudrions voir progressivement supplanter la passivité ambiante. Se lever, tourner le dos à l'écran, faire face aux regards de ses semblables en proclamant, par la voix ou le silence d' un écriteau, le sens de son acte, cela ne pourrait-il pas devenir un des rites symbolisant notre résistance?

Quant au publicitaire Marcel Bleustein-Blanchet, qui se rêve "lion" (son emblème), sans doute pour avoir régné, un siècle durant, sur la bêtise entretenue de ses contemporains, sachons-lui gré de l'hommage qu'il rend à notre cause en parlant du "dragon de la publiphobie, qui en France ne dort jamais que d'un œil, soulève sa triple tête et crache un trait de feu" (le Monde, 14.10.1992).

Le 30 juin, puisse le vieux "lion" avoir senti passer le feu du "dragon" ! Et nous, gardons l'œil bien ouvert !
Y.G.

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Un caméraman face à la publicité

(Témoignage ) par Jean-Jacques Ledos*


J'ai été cameraman - on dit aujourd'hui "cadreur"- à la télévision de service public pendant plus de trente ans. J'ai ainsi été le témoin de la dégradation des programmes et des mentalités à partir d'octobre 1968,quand l'introduction de la publicité a commencé d'imposer la logique commerciale de la recherche du volume d'audience.

Deux épisodes, situés dans une pratique quotidienne et non institutionnelle, vont permettre d'illustrer cette modification des comportements du côté des diffuseurs.

A la fin de l'hiver 1961, j'eus à retransmettre l'arrivée de la course cycliste Paris-Nice, dans quelques villes-étapes. Le reportage fut interrompu dès la première journée. La direction générale de l'époque avait estimé que les images montraient avec trop d'insistance les panneaux publicitaires d'une marque d'apéritif. Les responsables - les cameramen qui recueillent les images et le réalisateur qui les sélectionne pour les envoyer à l'antenne - furent convoqués quelques jours plus tard dans un service qu'on appelait alors l' "Inspection générale", héritage du passé administratif de la radiotélévision. Les uns et les autres, nous plaidâmes alors l'impossibilité d'éviter les panneaux placés sur le parcours des coureurs. Nous n'en fûmes pas moins sanctionnés : privés de reportages, reclus en studio pendant plusieurs mois. La télévision était vertueuse, en ce temps-là.

Dix ans plus tard, l'affichage-pirate s'était organisé. Tellement qu'en 1972, les sénateurs s'inquiétèrent et réunirent une commission pour enquêter sur les excès de la diffusion non autorisée de messages publicitaires. Les agences de publicité qui n'avaient accès à l'antenne qu'au prix fort y étaient sans doute pour quelque chose. Objet du délit : concurrence déloyale.

Voici comment cela se passait sur un circuit automobile, par exemple. Le représentant de plusieurs marques allemandes multipliait les prévenances à l'égard des professionnels de l'image. Un banquet les rassemblait, la veille de l'épreuve. J'ai refusé, à plusieurs reprises, de m'y rendre et puis, un jour, j'ai cédé. Pour voir. Le personnage qui "arrosait" était vulgaire et ne semblait pas douter de son pouvoir de séduction. Le lendemain, j'ai évité, au maximum, de montrer les panneaux qu'il avait disposés. Depuis, je n'ai jamais plus été envoyé sur un circuit. Sans regret. J'ai appris, quelques années plus tard, que le représentant des marques allemandes avait dénoncé ma mauvaise volonté et obtenu qu'on ne m'envoie plus sur les sites où il sévissait. Je dois ajouter que mon dossier était déjà chargé. En d'autres circonstances, survolant le circuit du Mans à bord d'un hélicoptère, j'évitais soigneusement de montrer le toit de la tribune d'honneur entièrement recouvert par le nom d'un apéritif.

Les publicitaires avaient, dans les deux cas, réussi un "coup" remarquable : montrer leurs panneaux de manière répétitive à moindres frais. Dès la mise en place du dispositif de retransmission, les circuits ou les sites étaient parcourus - on dit "repérés"- par le responsable technique de la télévision accompagné de l'agent de publicité qui plaçait ainsi son matériel dans le champ des caméras qui ne pouvaient l'ignorer.

Quand on constate aujourd'hui l'abondance des logos sur les combinaisons ou autres survêtements sportifs, on pourrait presque s'attendrir sur l'aimable amateurisme dans lequel se déployait le piratage de jadis.

* Historien de la radiotélévision

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Affaire Sangalli (graffiti sur une affiche)


Le 3 mars 1993, un jeune Dionysien, Didier Sangalli, prend le métro. Il passe devant une affiche montrant une femme élégamment vêtue. Slogan : "Tout simplement chic". Le voyageur inscrit sur l'affiche : "Très franchement toc !" Des employés du métro surgissent. Confiscation du crayon feutre. Procès-verbal.

Le 27 mai, le département juridique de la R.A.T.P. écrit à Sangalli : "Vous avez fait l'objet d'un procès-verbal à la suite de dégradations volontaires (graffiti). De ce fait vous avez occasionné à la R.A.T.P. un préjudice s'élevant à la somme de 480 F. Nous vous invitons à nous faire parvenir cette somme (...) A défaut de règlement, nous serons dans l'obligation de faire valoir notre réclamation en justice."

Extraits de la réponse du Dionysien :

"La somme de 480 F représente une amende forfaitaire, laquelle n'a rien à voir avec des dommages-intérêts. La R.A.T.P. ne justifie d'aucun préjudice (...)
"Je considère que le procès-verbal, ainsi que la poursuite judiciaire dont vous me menacez, sont illégaux, et ce pour plusieurs raisons.
"1) Le procès-verbal ne mentionne pas de façon précise le texte que j'aurais violé ; or, j'ai le droit de connaître avec précision l'article de loi que vous prétendez applicable.
"2) Quel que soit ce texte, il ne peut qu'être contraire à la liberté d'expression consacrée et garantie par la loi du29 juillet 1881 qui constitue une de nos libertés publiques fondamentales(...)
"La jurisprudence reconnaît l'existence d'un droit de critique à l'égard des auteurs qui, livrant délibérément une œuvre au public, s'exposent par là même au jugement de ce public.
"A fortiori ce droit, qui permet de critiquer de véritables œuvres de l'esprit, de nature culturelle et dont la fréquentation reste libre, doit-il appartenir à celui à qui on impose, contre son gré, un message intéressé, expressément destiné à influer sur sa conscience, à peser sur ses choix et à modifier son comportement, et payé par lui-même chaque fois qu'il achète le produit prescrit.
"3) Aucun texte de droit français ne saurait prévaloir contre l'article 10 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, qui consacre la liberté d'opinion et la liberté de communiquer et de recevoir des informations ou des idées sans ingérence d'autorité publique. Selon la Cour Européenne des Droits de l'Homme, cette liberté constitue l'un des fondements des sociétés démocratiques.
"Par conséquent, je m'estime fondé à vous demander d'abandonner toute poursuite à mon encontre et de me restituer mon crayon feutre illégalement confisqué par votre agent."

Au stade actuel de cette affaire, R.A.P. assume deux fonctions : l'information de ses adhérents et la défense exceptionnelle, non pas d'un procédé, mais d'une personne ayant réagi en son âme et conscience et de façon non-violente à une agression publicitaire ponctuelle. Sur le procédé du graffiti et du détournement d'affiche, qui pose un problème théorique et pratique, l'association se réserve de préciser ultérieurement sa position.

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D'un questionnaire à l'autre


Le 15 mai dernier, sur les Champs-Élysées, cent passants (essentiellement de jeunes promeneurs du samedi, dans les vingt ans, en uniforme publicitaire)ont accepté, pour R.A.P., de répondre à un questionnaire expérimental sur la publicité au cinéma. Seuls résultats notables : 56% des personnes interrogées se sont dites favorables à un éclairage suffisant, dans la salle, pour lire un journal pendant la publicité ; 74% contre la publicité muette ; 80%contre la suppression de la publicité.
Suite au bon accueil des piétons, nous avons décidé de répéter l'opération au niveau national, pendant l'été. Le questionnaire reproduit à la page 3 (à photocopier !) est une version améliorée de celui du printemps.
Deux objectifs sont visés. D'une part, recueillir, de manière forcément fragmentaire et non scientifique - R.A.P. n'étant pas un institut de sondage -, l'opinion de quelques citoyens sur un aspect très précis du phénomène publicitaire. D'autre part, amener ces personnes à se poser, par le biais de dix questions très simples, le problème général de la publicité, de son fonctionnement, de sa place dans la société, et attirer leur attention sur leur responsabilité de citoyens actifs. Enfin ce questionnaire prélude, d'une certaine façon, à la pétition que devrait lancer R.A.P. à l'automne, dans le même esprit de sensibilisation et de mobilisation.

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