R.A.P.-Échos 22

R.A.P.-Échos n°22

MARS 1999


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Dans ce numéro :
Faut-il brûler les publicitaires ?
Opération boîtes jaunes
Déclaration universelle des droits... du publicitaire ? Action métro n° 5
Joyeux bordel : action-cinéma n° 26
Noire ingratitude
Alerte aux sponsors !
L'exploitation du Père Noël
Écho de l'assemblée générale des lecteurs du Monde


Faut-il brûler les publicitaires ?

Éditorial du nouveau président

C'est la multiplication des excès publicitaires et la révolte, surtout, devant l'impuissance qui ont poussé quelques citoyens éclairés à organiser la résistance. Parmi eux, François Brune, Yvan Gradis, René Macaire et Philippe Riché ont animé en 1991 et 1992 des rencontres dont la troisième fut l'assemblée générale constitutive de notre association.

Ne connaissant R.A.P. que depuis 1994, je constate que cette naissance sous le signe de la réaction lui a donné une âme radicale mais l'expose également au risque d'un manichéisme simpliste. Je pense que R.A.P. a su se prémunir de ce travers, notamment par l'intermédiaire de R.A.P.-Échos. Cependant, on ne s'attaque pas à une institution telle que la publicité sans passer parfois pour des iconoclastes.

Cette tendance intégriste existe chez certains des particuliers qui nous écrivent, lesquels, exaspérés par les abus publicitaires, font souvent preuve d'un rejet total, voire violent, du phénomène publicitaire, jetant sans discernement l'opprobre sur tout ce qui peut toucher, voire simplement évoquer la publicité.

Bien sûr la publicité a poussé trop loin le bouchon en matière de laideur, de gaspillage, d'abrutissement et d'agression du citoyen, de cynisme et de manipulation. Elle confine en cela bien souvent à la propagande. Pour autant, le droit de chacun, y compris des entreprises, à communiquer ne peut être dénié. La réclame doit simplement respecter certaines règles élémentaires, un " savoir-vivre " en quelque sorte, qu'il n'est pas inutile de rappeler : s'interdire le mensonge et la manipulation, ne pas user de ressorts indignes tels que la violence, le sexisme ou le racisme, respecter l'intimité d'autrui - on devrait pouvoir échapper à la publicité que l'on n'a pas sollicitée -, permettre un droit de réponse, respecter l'environnement et la sécurité de chacun. Force est pourtant de constater que l'écrasante majorité des publicités, quelle que soit leur forme, est aujourd'hui en totale contradiction avec ces principes.

Énoncer une telle nuance ne doit pas retirer une once de notre détermination à faire reculer les abus mais il s'agit d'asseoir notre action et nos exigences de manière opérationnelle, responsable et réaliste. C'est la voie de la maturité pour notre mouvement qui doit jouer le rôle d'un contre-pouvoir efficace pour que les pratiques publicitaires évoluent durablement vers un meilleur respect du citoyen et du consommateur.

La lecture des comptes-rendus de nos actions convaincra certainement qu'on peut s'amuser follement en suivant un objectif qui paraît si sérieux. Bref, nous ne brûlerons donc pas les publicitaires mais rien ne nous empêchera de danser joyeusement autour du grand feu que nous allumerons avec les panneaux polluants, les prospectus qui envahissent nos boîtes aux lettres et autres colifichets ridicules dont nos vies quotidiennes sont encombrées !

T. G.

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Opération boîtes jaunes


Pour en finir avec le bourrage des boîtes aux lettres par la publicité (bourrage dont La Poste est responsable à hauteur d'au moins 50 % en moyenne), R.A.P. a procédé, en janvier 1999, au lancement de l'opération " Boîtes jaunes ".

Elle invite tous ceux dont la boîte souffre d'une indigestion de prospectus à redéposer ceux-ci dans les boîtes de La Poste pour manifester leur colère. Cette opération n'a pas pour but de perturber le service public, mais d'amener un débat sur cette nuisance dont d'autres pays, pas moins performants que le nôtre, sont venus à bout. (Tract illustré disponible contre une enveloppe timbrée.)

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Déclaration universelle des droits... du publicitaire ?

Action métro n° 5


À l'approche du 10 décembre 1998, cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, événement célébré par l'État sur les deniers publics, est apparue, sur les murs du métro parisien, une série de grandes affiches publicitaires assenant à l'usager des slogans pontifiants comme : " Ça fait 50 ans qu'elle emmerde les dictateurs ", " Depuis 50 ans, elle a la haine de l'exclusion ". Tous ces slogans, en très gros caractères, sont encadrés par les deux mêmes phrases. En haut : " La liberté d'expression est née sur les murs " ; en bas : " Les afficheurs vous offrent la possibilité de vous exprimer ".

R.A.P. n'a pas pour vocation de réagir à telle ou telle provocation des publicitaires (qui seraient les premiers à s'en réjouir), mais cette série-là qui, sous le couvert d'une campagne officielle, sert l'autopromotion de toute une profession (les afficheurs) semble à certains de ses membres particulièrement représentative d'une stratégie très habile : faire passer, par l'alchimie du sponsorat, ceux qui piétinent la liberté (pour le compte des annonceurs ou des pouvoirs publics) pour, au contraire, des défenseurs de cette liberté. Tout régime totalitaire est coutumier de cette pratique de renversement des valeurs. Plus le mensonge est gros, disait un spécialiste de la propagande, mieux il passe !

Et puis la " haine ", ça fait jeune : une marque de chaussures de sport n'a-t-elle pas, quelques années plus tôt, commandité un long métrage intitulé précisément " La Haine " et destiné à se faire adopter comme un film-culte par toute une jeunesse ? Quant à " emmerde " (oh ! le gros mot ! caca-pipi-prout de créatifs...), imprimé chez un vrai imprimeur et affiché comme ça, en énorme, avec la bénédiction de la sainte Régie autonome des transports parisiens, ça fait un peu le grand frère qui fume sa première cigarette en cachette sous les yeux admiratifs du petit frère qui rêve d'en faire autant... Pas pour toi ! Tu feras ça plus tard, quand t'auras l'âge ! Bref, un savant dosage de cynisme et de démagogie.

Vu l'ampleur de la manipulation, R.A.P. décide donc, à titre exceptionnel, de réagir. Une des affiches de la série est photographiée ; un communiqué, illustré de cette photo, est envoyé à la presse ; enfin, un tract est réalisé, qui reprend l'essentiel du communiqué de presse, sous le titre : " De qui se moque-t-on ? La Déclaration universelle des droits de l'homme n'est pas à vendre. " Les militants parisiens se donnent rendez-vous, le jour même de l'anniversaire de la Déclaration, sur un quai de la station Montparnasse Bienvenüe, l'un des nœuds du réseau, à 18 h 30, heure de pointe, en vue d'interpeller un maximum d'usagers.

À l'heure dite, treize antipublicitaires, auxquels se sont mêlés trois journalistes, se retrouvent au lieu prévu.

Peu avant 19 h, on entre en action. La banderole arborant le nom de l'association est déployée au bas d'une affiche prise au hasard. Cette affiche, sans aucun lien avec la campagne incriminée, pour ainsi dire terminée à l'époque, n'est ni plus ni moins coupable que n'importe quelle autre, mais puisque " la liberté d'expression est née sur les murs "...

Quatre militants, dont un armé d'un recueil de poèmes, se couchent sur le quai, juste en contrebas et le long du mur pour ne pas gêner le passage. D'autres s'acharnent sur l'affiche expiatoire. On y appose un label de circonstance : " Débile " ; on recouvre la marque même d'un bandeau : " Droit de réponse " ; on colle des exemplaires agrandis du tract, ainsi que divers écriteaux pour donner à réfléchir aux passants : " Publicité non merci ", " Avez-vous choisi de voir la publicité ce soir ? ", " Qui se cache derrière la publicité ? ", " Qui paye la publicité ? " Pour que le public ne se méprenne pas, on inscrit aussi : " Action antipub (ce n'est pas contre cette affiche en particulier). "

Du fait que l'affiche épouse la concavité du mur et que les papiers vengeurs ne sont collés que sur leur bord supérieur, ceux-là pendouillent dans le vide, pour le plus bel effet !

La jonchée (manifestation couchée) durera plus d'une demi-heure. Pendant ce temps, le président de R.A.P., sur un mode mi-didactique, mi-imprécatoire, fait le récitant à l'intention des usagers, dont chaque rame de métro déclenche le flux et le reflux. Butant contre ce tableau humain des plus insolites, ceux-là se voient remettre un tract (400 seront distribués en tout). Des contacts sont pris avec plusieurs personnes très favorables. Aucune intervention des agents de la sécurité. On lève le camp peu après 20 h.

Y. G.

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Joyeux bordel : action-cinéma n° 26


Les actions-cinéma de R.A.P. consistent à s'interposer entre les spectateurs et les images publicitaires projetées avant le long métrage, afin de proposer un contre-spectacle aux personnes qui ne s'intéressent pas à la publicité.

Le 26 novembre 1998, vers 19 h 30, huit membres de R.A.P. se retrouvent à l'entrée du cinéma Saint-André-des-Arts (salle de la rue Gît-le-Cœur), à Paris. En général, faute de pouvoir satisfaire tout le monde, on s'en remet à l'un ou l'autre des animateurs de l'association pour le choix du film (ce qui donne parfois le sentiment aux militants qu'on les emmène voir n'importe quoi, mais comment faire autrement ?). Ce soir, exceptionnellement, il s'agit d'un film dont le sujet rejoint les préoccupations de R.A.P. " Pas vu, pas pris " (Pierre Carles, 1998) lève le voile sur les rapports cachés entre pouvoir politique et télévision. Son public devrait par conséquent bien accueillir l'intervention prévue.

Les militants se retrouvent, comme à l'accoutumée, assis tout à fait normalement parmi les spectateurs, dont le nombre, en l'occurrence, n'excède pas la cinquantaine. Vers 19 h 50, selon l'immuable rituel de R.A.P., à la seconde même (ou peu s'en faut) où apparaît sur l'écran la toute première image du tout premier film publicitaire, les militants s'extirpent de la masse et jaillissent, tels des diablotins de boîte à malice, hors de leurs places.

Pas de scénario particulier, pour cette 26e action-cinéma, mais une gesticulation à tendance sensiblement délirante.

Les trublions rejoignent tous en même temps le " poste " que chacun s'attribue à lui-même dans le feu de l'improvisation. Qui le visage dissimulé derrière un abominable masque en daim vert ; qui armé d'un appeau qu'il fait tournoyer non sans frénésie au bout d'un fil ; qui brandissant un parapluie ouvert ; qui, équipé d'un masque de plongée et d'un tuba, grimpant sur une rambarde au pied de l'écran pour tirer avec un pistolet d'enfant sur les images défilantes ; qui, enfin, s'acharnant sur un extenseur musculaire comme sur un accordéon pour accompagner ses propres couplets proférés sur un ton de parfaite ivrognerie, etc. Il n'en faut pas plus pour instaurer un véritable pandémonium, disons plus simplement un joyeux bordel.

Le personnel du cinéma fait irruption dans la salle mais n'intervient que timidement : d'abord désemparé, il ne cache pas, ensuite, une certaine bienveillance à l'égard des " artistes ". Quant au public, il se voit distribuer des tracts explicatifs que les militants, en bons professionnels de l'amateurisme, n'ont même pas eu le temps de découper... Qu'à cela ne tienne, les spectateurs eux-mêmes mettent la main à la pâte, et bientôt les tracts circulent tout seuls dans les rangs. Sans parler des ballons de toutes les couleurs qu'un dernier militant fait pleuvoir sur les têtes.

Mais, rituel oblige, quand la publicité prend fin, chacun regagne sa place, et le film commence.

Y. G. 

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Noire ingratitude

par Michaël Löwy


Un article du Monde du 8 septembre 1998 nous apprenait le résultat d'une enquête de l'institut allemand GFK sur l'attitude des Européens face à la publicité. Il semblerait que, pour une majorité écrasante d'Espagnols (88,8 %), d'Allemands (83,6 %) et de Russes (82,9 %), il y a, tout simplement, trop de publicité. Ce serait aussi, à peu de chose près (le quotidien ne cite pas les chiffres), l'avis des Français, des Autrichiens, des Belges, des Polonais, des Suisses et des Suédois - bref, de la plupart des Européens, à la notable exception des Britanniques. Pire : beaucoup d'Européens pensent que la publicité ne sert à rien, et une écrasante majorité de Français (89 %), de Belges (87,8 %), de Suédois, d'Autrichiens et d'Espagnols estime qu'elle pousse les gens à acheter des produits dont ils n'ont pas besoin.

Il s'agit manifestement d'une profonde erreur. Comme tout le monde le sait - ou devrait le savoir, en tout cas -, la publicité est un dispositif essentiel au bon fonctionnement de nos économies de marché. Elle est aussi indispensable à nos sociétés de consommation que l'air qu'on respire. Par ailleurs, elle fournit une précieuse information aux consommateurs et leur permet d'orienter, en connaissance de cause, leurs achats. Sans l'aide gracieusement offerte par la publicité, comment les gens pourraient-ils choisir dans l'infinité de marchandises qui les entoure ? Comment sauraient-ils, par exemple, quelle marque de dentifrice protège effectivement contre les caries dentaires ? Sans la publicité, l'individu serait tout simplement condamné à l'ignorance et à la perplexité. Pourquoi alors cette étonnante ingratitude, cette noire ingratitude des Européens?

Un autre sondage (Le Monde du 6 octobre 1998) nous apprend que 83 % des Français jugent " gênantes " les coupures publicitaires pendant les films ou les autres émissions de télévision. Ils font mine d'ignorer, ces ingrats, que c'est seulement grâce au généreux mécénat publicitaire que la totalité des chaînes privées peut fonctionner.

Comment expliquer tant d'ingratitude, tant de mauvaise volonté, tant d'ignorance sur les indéniables bienfaits de la publicité ? Pourquoi cette méfiance, cette sourde hostilité, ce refus catégorique envers une activité si utile au bon fonctionnement de toute société moderne ? Mystères insondables de l'opinion publique...

Ces chiffres, témoignant d'un rejet massif et brutal, sont fort inquiétants. Pour le moment, cette majorité antipublicitaire écrasante - autour de 80 % de la population - reste passive et inorganisée. Elle ne fait rien, ne prend aucune initiative, ne participe à aucune activité concernant cette question. Mais que se passerait-il si une partie, même petite, de cette majorité décidait de soutenir les activités des groupes publiphobes connus pour leur hargne systématique et obsessionnelle contre toute entreprise publicitaire ?

L'accumulation de cette masse noire d'ingratitude dans l'arrière-cour de nos sociétés est dangereuse. C'est une masse inflammable, qui pourrait, au contact d'une étincelle, exploser. Le seul espoir, c'est d'expliquer patiemment aux gens qu'ils se trompent, qu'une vie sans publicité serait inimaginable, et qu'ils doivent à la publicité beaucoup de ce qui fait la beauté moderne de nos villes et de nos campagnes, la vitalité bouillonnante de nos programmes audiovisuels.

M. L.

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Alerte aux sponsors !

Billet d'humeur d'un sympathisant (été 1998)

Les récentes révélations concernant le dopage en France nous amènent au constat suivant : le sponsorat a tué le sport, ou en tout cas l'a gravement compromis. En effet, les affaires qui ont mis en péril le dernier Tour de France ont mis au jour des pratiques que tout le monde connaissait, mais il était bien plus simple et surtout plus rentable de fermer les yeux. Le coureur cycliste ne se dope pas de lui-même : il n'est pas assez fou pour cela. Il sait qu'il hypothèque sa santé et son avenir. Il connaît même le nombre de coureurs qui sont morts ou qui finissent dans un état pitoyable pour s'être " chargés ". Le sportif se dope parce qu'on le force ou qu'on l'y incite un peu brutalement. Du genre : " C'est ça ou tu vas voir ailleurs. " Seul le sponsor a ce cynisme, parce que pour lui ce n'est même pas du cynisme. Il est normal de pousser les coureurs à se surpasser, puisque c'est pour vendre des couches-culottes ou des téléphones mobiles. En somme, c'est une œuvre de civilisation pour laquelle quelques coureurs peuvent bien donner leur vie et leur santé. Bien sûr, en apparence, le sponsor se scandalisera si un cycliste est pris à un contrôle antidopage, il punira démonstrativement le coupable et même le jettera hors de l'équipe ; mais, une fois rentré chez lui, il se frottera les mains de la bonne affaire. En effet, l'équipe Tartempion a été exclue du Tour de France pour dopage, et il ne s'est jamais vendu autant de montres Tartempion. Ce qui prouve que peu importe qu'on parle de vous en mal ou en bien, il suffit qu'on en parle, et on vend.

Tout cela resterait dans le domaine attristant de l'anecdote sportive et judiciaire, si l'on n'entendait pas tous les jours qu'il faut que les institutions et les administrations, les écoles et les hôpitaux, les théâtres et les artistes se trouvent désormais des sponsors. L'État se désengage de sa mission de service public et s'en remet à ce qu'on appelle pudiquement les " partenaires ". Dans certains pays, si vous voulez vous faire opérer, il faut trouver un sponsor. Bref, toute notre vie devient une course au parrainage, sponsorat, mécénat, partenariat. Et, plus inquiétant encore, on s'aperçoit de jour en jour que les pouvoirs publics qui accordent encore quelque argent à certaines manifestations culturelles ou sportives se comportent comme des sponsors, c'est-à-dire qu'ils veulent être en gros sur l'affiche. Pourtant, l'exemple que nous donne le sport montre bien que le sponsor salit tout ce qu'il touche, le macule avant de le réduire à un espace publicitaire. On sait aussi que l'on doit la stupidité uniforme qui règne sur tous les postes de télévision, notamment en début de soirée, aux annonceurs qui ont droit de vie et de mort sur chaque émission. Et ne parlons pas des misérables radios et de leurs mielleuses " respirations commerciales ", ni des journaux dont on sait qu'ils y ont perdu toute liberté. Ce qui est le plus grave, c'est que ce système qui se généralise dans le cadre de la mondialisation n'étonne ni n'émeut personne. Il semble que nous préparons nos enfants à accepter le fait qu'ils devront vivre dans un monde sponsorisé. Déjà, aux États-Unis, on ferme les portes des classes pour empêcher les enfants de sortir et on diffuse la publicité. D'un point de vue culturel, c'est un scandale et une ineptie. On voit mal, en effet, une pièce de théâtre sur la corruption, sponsorisée par la Lyonnaise des eaux, société compromise dans on ne sait combien de marchés condamnés par la justice. L'État se désengage, et on ose présenter cela comme un combat pour la liberté de création : " Nous voulons moins d'État ! " On peut s'imaginer, en effet, quelle liberté cela donne à un artiste que d'aller de porte en porte comme un mendiant avec son projet sous le bras, en épuisant sa dernière énergie. Mais l'État ne se désengage pas dans tous les domaines de la même façon. On ne demande pas de sponsoriser l'armée et la police. On en a trop besoin : si, un jour, quelqu'un, poussé à bout, s'en prenait à un panneau publicitaire d'un gentil annonceur, sponsor officiel et partenaire exclusif de l'art contemporain...

Benoît Vitse (Oise)

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L'exploitation du Père Noël


Le 21 décembre 1998 au soir, a eu lieu, à Paris, l'action-Noël traditionnelle de R.A.P. Il s'agissait, comme chaque année, à quelques jours de la fameuse fête mercantile, de tenter de glisser une seconde de réflexion chez les consommateurs qui, affolés, passent des heures à se laisser drainer vers les tiroirs-caisses. Thème choisi cette fois-là : l'exploitation du Père Noël.

Vers 18 h 30, onze membres de R.A.P. se retrouvent devant un libraire-disquaire du milieu des Champs-Élysées, véritable ruche à l'entrée de laquelle ne cessent de tourbillonner des essaims de jeunes. À partir de 19 h, suivant une mise en scène imaginée par le président de l'association et sur un texte esquissé par lui, trois militants improvisent sur le trottoir une saynète qu'ils répéteront en boucle une vingtaine de fois. L'un, le Père Noël, arbore un écriteau avec ces mots : " J'en ai marre d'être exploité " ; l'autre, le publicitaire en costard-cravate et lunettes noires, brandit un manche à balai en guise de badine ; un troisième, le journaliste, porte en bandoulière magnétophone et appareil photo.

Action ! Le publicitaire mène son Père Noël à la badine, le " lançant " avec brutalité à l'assaut des passants-consommateurs (bien réels ceux-là !). Le malheureux barbu à redingote rouge est obligé de harceler les passants pour les faire se presser encore plus vite vers les tiroirs-caisses. Mais, dès que son exploiteur a le dos tourné, il se plaint, gémit, clame sa détresse, notamment dans le micro que lui tend le journaliste-photographe, attiré par cette scandaleuse scène de misère. D'autant plus attiré, d'ailleurs, qu'il y a là matière à de cruelles photos qu'il pourra revendre aux magazines en mal de sensations... Mais le publicitaire, lorsqu'il s'aperçoit que son rouge esclave ne fait pas son travail, se jette sur lui en vociférant et s'en prend au journaliste auquel il essaie d'extorquer sa pellicule. Le Père Noël reprend alors son labeur, et ainsi de suite. Parallèlement, un quatrième militant s'égosille en interpellant les passants : " Achète ! Consomme ! Sois heureux ! Tais-toi ! " C'est d'ailleurs à peu près le texte qui figure sur des papillons en forme de billets de banque, distribués aux passants en guise de tracts pour leur expliquer les mobiles de l'action.

Vers 20 h, après avoir arpenté une portion des Champs-Élysées, la petite troupe range costumes et accessoires et se retrouve autour d'un pot pour faire le bilan.

Y. G.

 

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Écho de l'assemblée générale des lecteurs du Monde


Le 25 avril 1998, La Société des lecteurs du Monde tenait son assemblée générale. Parmi les questions écrites qui lui étaient parvenues dans cette perspective, celle-ci, émanant de J.-C. Oubbadia :

" Quelle est la position de la direction du Monde sur le problème de la publicité et de sa présence de plus en plus envahissante dans le journal ? Je me suis engagé financièrement dans votre société pour soutenir un journal intelligent et courageux et non un support publicitaire. Je vous rappelle que l'accueil d'une forte proportion de publicité ne peut avoir, à l'évidence, que deux significations : d'une part, l'acceptation d'un mode de financement contraire à l'esprit du montage juridique et financier assurant l'indépendance du Monde ; d'autre part, l'approbation manifeste de l'idéologie libérale, dont la publicité est le plus éclatant symptôme, ce qui est contraire à une vocation de neutralité par ailleurs hautement revendiquée. "

La synthèse des questions, distribuée lors de l'assemblée, mentionnait bien que " plusieurs contributions concernaient la publicité " et reproduisait la. En guise de réponse, il a été révélé - révélation du siècle ! - que la publicité rapporte de l'argent et qu'elle est nécessaire au journal.

J.-C.O.

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