R.A.P.-Échos 5

R.A.P.-Échos n°5

DECEMBRE 1993


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Dans ce numéro :
Le sauvetage du Père Noël
Hommage à René Macaire
Compte-Rendu de l'Assemblée Générale 1993

Le sauvetage du Père Noël


Le 22 décembre 1993, Résistance à l'Agression Publicitaire a volé au secours du Père Noël.
Celui-ci en a assez de voir ses effigies proliférer le long des artères commerçantes, sur les affiches, les ondes, les écrans. Qui, mieux que lui, maître incontesté du cadeau, sait la fausse gratuité de la publicité ?
A sa demande, cinq militants de R.A.P. l'accompagnent sur un des hauts lieux de sa profanation : les grands magasins du boulevard Haussmann, à Paris. Il est midi, cette avant-veille de bombance. Que peut le Père Noël, face à une foule mécanisée, happée vers les tiroirs-caisses ?
Il s'approche d'une vitrine et tente de s'interposer entre jouets et peluches d'une part, enfants et parents hypnotisés de l'autre. A ces derniers, il se plaint, au moyen d'un panneau sur son ventre : "Que ferait la publicité sans moi ?" Son escorte s'exprime aussi, par le même moyen : "Noël : fête religieuse ? fête commerciale?", "Noël : fête du cœur ou de l'estomac ?","Ne rends pas le 25 ce que tu as mangé le 24 !", "Sous l'appât, l'hameçon", "La publicité pollue, trompe, aliène, agresse, braille, manipule, conditionne (...) et c'est nous qui la payons.", etc.
Par ces phrases, il s'agit, non pas d'arrêter le passant dans sa course folle, mais de le faire réfléchir, une seconde, sur le sens de cette course : Noël, réduit par le harcèlement publicitaire à une débauche annuelle de consommation-réflexe, est-il toujours une fête ?
Petits et grands regardent ce Père Noël, sans comprendre que c'est le vrai. Ils voient tant de ses sosies ! Au moins un tous les cent mètres... Si seulement ils passaient la main sous sa houppelande, ils ne sentiraient pas le fer de l'hameçon qui, chez les autres, les faux, doit les harponner. Lui, le vrai, n'a rien d'un appât. La preuve, il n'a rien à vendre. A tel point que ses compagnons, qui pourraient en profiter pour vendre leur journal, ne le font pas !
Ils ne le donnent qu'à deux personnes qui le leur demandent. D'abord à une mère qui tient son enfant par la main et qui s'exclame: "C'est merveilleux, vous dites là ce que je pense depuis toujours. On prétend que Noël c'est la fête des enfants, mais c'est la fête des marchands." Ensuite à une autre dame, professeur de philosophie dans une école religieuse, qui reproche à ses élèves leur esprit "petit bourgeois" et d'avoir l'argent pour seul dieu.
Au bout d'une demi-heure, les vigiles du grand magasin, craignant que la petite troupe, pourtant plutôt silencieuse et calme, ne finisse par éloigner le poisson, la prie "gentiment" de s'en aller. N'étant pas venue pour s'en aller, elle ne bouge pas. Après quelques vaines tentatives, le chef des vigiles fait appeler la police. Peine perdue : à 13h, comme convenu, la manifestation se disperse.
Cinq heures plus tard, vers 18h, le Père Noël resurgit d'une bouche de métro, Place de la Concorde. Entre temps, il s'est confectionné un nouveau panneau pour son ventre : "Unique au monde, le Père Noël qui n'a rien à vendre !" Accompagné - ou rejoint sur son parcours - par trois nouveaux complices, il affronte cette fois la foule de la rue Royale, du boulevard de la Madeleine, du boulevard des Capucines, de la Place de l'Opéra et finit son périple, vers19h, dans le quartier de la Bourse.
A la fin de la journée, il se sent un peu vengé.

Y.G.

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Hommage à René Macaire


René Macaire est mort le 10 octobre 1993, il a été enterré le 13 à Crépy en Valois.
C'est dans l'ombre, une fois avalé, que le pain commence à agir.
Le pain, René en avait la beauté, la chaleur, le rayonnement.
Puisqu'il faut bien ici rendre hommage à l'un des fondateurs de Résistance à l'Agression Publicitaire, nourrissons-nous de lui, une fois encore:
"(...) Bien que je devienne vieux, je garde des pulsions et des illusions de jeune. Je dis "illusions" car je suis obligé de voir en face ceci: très peu de personnes sont prêtes à boycotter l'inacceptable ! Au fond, cela me fait peine et me révolte même. Voilà : tous ces écrivains, ces chercheurs, ces penseurs, ces militants d'une société juste, ces militants contre le chômage, ces partisans du revenu d'existence, ces amoureux de la Non-Violence active, ces chrétiens du "plein évangile", ces humanistes à la J.J. Rousseau, bref tous ces amis sinon de la révolution, du moins de l'évolution sont pratiquement inconscients que les consciences auxquelles ils s'adressent sont quotidiennement desséchées, conditionnées, anesthésiées, par des médias régressifs aux mains des seules puissances d'argent et de prestige. Quel scandale, quel aveuglement ! Les militants de tout bord, y compris ce qui reste du clergé souvent, ont perdu la tripe populaire. Ils ne voient pas qu'on tue le peuple ! Tous les jours, minute après minute (...)
Je ne désespère pas, un jour où l'autre le boycottage entrera comme un élément normal dans la morale commune. Ce sera une grande victoire mais elle viendra parce que ça ne peut pas être autrement. Je me suis désabonné d'une revue de théologie morale, justement parce qu'ils ne débouchent sur rien de concret - une morale qui reste en l'air ! - et qu'ils ignorent de ce fait même le boycottage."
(Dernière lettre à Y. Gradis, 4.8.1993)
Ecoutons aussi François Brune, autre fondateur de l'association :
"L'apport essentiel de René au mouvement qui s'est créé sous son inspiration, c'est l'apport spirituel, la dimension prophétique(plus encore que "politique") de cette activité militante(...) Sans bien sûr imaginer que les adhérents de R.A.P. doivent être croyants, il me semble que ce que nous devons garder est la dimension spirituelle. Ce que nous faisons, que nous soyons explicitement croyants ou agnostiques, cela doit venir effectivement de plus haut que nous-mêmes. La fiabilité, la fidélité, l'humilité, la chaleur fraternelle de René Macaire doivent continuer d'inspirer notre militance, qui ne peut être qu'une militance en profondeur, tentant de toucher à la conscience des gens que nous rencontrons (par opposition aux médiatisations superficielles).
Ce que me dit la mort de René Macaire, à moi-même, c'est de rester en éveil ; d'éviter l'usure de la militance ; de rechercher en profondeur ce que peuvent donner nos actions ; de ne pas nous tromper de "cibles" ; de croire que le combat ne s'arrête pas, et qu'à 75 ans et plus il faudra continuer d'être sur la brèche ; de savoir qu'on travaille pour quelque chose qui nous dépasse."
(Lettre à Y. Gradis, 12.10.1993)
La résistance à l'agression publicitaire, dans le sein ou hors de notre association, ne saurait pas plus se passer de l'attitude individuelle de refus (se retirer du jeu) que de l'expression collective des revendications du plus grand nombre. C'est un combat moral et politique.

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Compte-rendu de l'assemblée générale


Le 16 octobre 1993, à Paris, s'est réunie l'assemblée générale ordinaire des membres de Résistance à l'Agression Publicitaire.
L'assemblée est présidée par Yvan Gradis, président de l'association.
Celui-ci rend hommage à René Macaire, cofondateur de l'association, décédé quelques jours plus tôt. Il lit les deux lettres citées ci-dessus, ainsi qu'un message de Jean Tessier, amide l'association, dans lequel, notamment, il reconnaît que la vraie voie, c'est celle de René Macaire, non-violente et collective, et non celle qu'il envisageait lui-même avant la création de l'association: la voie violente et individuelle.
Le président présente le rapport moral. L'association étant née au milieu de 1992, et cette assemblée générale se tenant à une date avancée dans l'année 1993, le rapport moral est à cheval sur les deux années. Le deuxième semestre de 1992 a été surtout consacré à l'information du public, notamment par la diffusion d'un tract de présentation et d'un dossier ("la publicité en cause, appel à la résistance"),des interventions spontanées dans des colloques, des manifestations sur la voie publique, des émissions de radio et des articles dans la presse. Le premier semestre de 1993 a vu le lancement de R.A.P.-Échos, une émission de télévision, la création d'un "noyau" de militants parisiens actifs et de nouvelles actions sur la voie publique.
Le trésorier, Jean-Claude Malarre, présente le rapport financier. Pour 1992, les recettes sont de 6342 F, les dépenses de 6739 F. Soit un déficit de 397 F.
Pour le renouvellement du conseil d'administration, trois administrateurs sortants sont réélus et six nouveaux sont élus : Axel Bellengier, Jean-Claude Bertheau, Odile Dhavernas, Elisabeth Louvet, Maurice Pergnier et Daniel Tiran.
Le nouveau conseil reconduit Yvan Gradis et Jean-Claude Malarre dans leurs fonctions respectives de président et trésorier (le premier assumera également la fonction de secrétaire général).
Quelques points sont (rapidement) abordés : le rôle des relais de l'association en province et à l'étranger, les actions à mener dans le métro, le ton général des interventions et discours de l'association, etc.
La parole est (longuement) donnée à Madame Elisabeth Louvet, Conseillère Régionale d'Ile de France et Conseillère Municipale d'Orgeval (Yvelines), pour la mise en place d'une commission interne à l'association, spécialisée dans le problème de l'affichage. Mme Louvet présente, dans ses grandes lignes, la loi de 1979 sur la publicité. Elle juge cette loi valable sur le fond, mais trop complexe, donc aisément contournable. Elle raconte son action dans les Yvelines, sa participation à un groupe de travail réuni, en 1992, par le ministre du cadre de vie pour remanier les textes en vigueur; elle souhaite qu'un groupe de travail analogue soit constitué par l'actuel ministre de l'environnement et que notre association soit conviée à y prendre part. Enfin, elle invite les militants à repérer, comme elle, les panneaux illégaux, en vue de les déboulonner. Son mot d'ordre : "A vos pinces !".

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