RAP

Le Monde bascule

 

Le rôle du journal Le Monde dans le domaine de la publicité est de plus en pluis discutable : pour réagir, voici deux textes extraits de R.A.P.-Echos n°29 (octobre 2000). Depuis l'envoi de ce numéro, Le Monde en rajoute avec un article scandaleux sur le métro de Lille.

Attention : "Le Monde" bascule !

 Depuis plusieurs années, nous sommes régulièrement alertés de la progression constante de la publicité dans les pages et dans le budget du Monde. Outre cette déplorable intrusion de la publicité dans les finances du quotidien, délétère pour l’indépendance des médias en général, nous observons avec autant d’inquiétude les nouvelles pratiques tapageuses du Monde en tant qu’annonceur. Non content de s’être livré, cet été, à une campagne d’affichage laide et accrocheuse, le journal participe maintenant régulièrement à d’autres opérations douteuses sur le plan de l’environnement comme sur celui de la quiétude des personnes : notamment des catalogues de cartes-réponses qui envahissent les lieux publics ou les boîtes aux lettres – et les poubelles –, et des bandeaux publicitaires sur les taxis, qui enlaidissent nos villes et attirent indûment l’attention des automobilistes. Le Monde s’engage même au niveau institutionnel avec des partenaires « prestigieux » comme la grande distribution et le syndicat de la publicité télévisée pour exiger l’accès de leurs secteurs d’activité à cette forme de conditionnement. Quelle belle idée de faire financer par les abonnements cette œuvre de bien qu’est la publicité télévisuelle !
 Avec l’entrée massive de la publicité dans ses pages – parution régulière de pleines pages en quatrième de couverture ou en double page centrale, présence systématique de placards à la une –, nous devions nous attendre à cette nouvelle façon du Monde à faire sa propre publicité. Comment pouvait-il en être autrement, puisque, pour se vendre plus (impérieuse nécessité du système commercial), il ne peut plus compter sur un contenu rédactionnel qui se réduit au fil de l’arrivée de ces encombrants voisins ? Par ailleurs, sait-on quelles concessions doivent faire une rédaction ou des journalistes pour éviter de froisser la sensibilité de ceux qui les financent ? Les lecteurs du Monde auront pu constater ce glissement vers la médiocrité et être tentés de s’en éloigner ; qu’à cela ne tienne, les lecteurs peu exigeants courent les rues ; et dans les rues, il y a des emplacements publicitaires...
 À nos lecteurs qui lisent régulièrement ou ponctuellement ce quotidien, je lancerais volontiers cet appel : écrivez à la direction du Monde, demandez des comptes, exigez l’indépendance par rapport aux intérêts commerciaux, imposez qu’on cesse de pourrir notre environnement, de surcroît ! Une lettre écrite à titre personnel est reproduite ci-après. Vous pouvez vous en inspirer, si vous le souhaitez.
Thomas Guéret.

Lettre au directeur du Monde (2 bis, rue Claude Bernard, 75005 Paris)
(Peut servir de modèle à adapter)

 Monsieur le Directeur,

 Je suis très préoccupé de la part croissante que prend la publicité à caractère commercial dans le quotidien que vous dirigez ainsi que de l’augmentation des recettes publicitaires dans l’équilibre financier de votre journal.
 J’observe notamment que cela est tout à fait contraire aux déclarations qui ont été faites au fil de l’existence du journal et au principe même de l’indépendance des médias. À l’heure où les citoyens du monde entier font entendre leur voix contre la marchandisation de la société, il me paraît de très mauvaise augure que Le Monde fasse preuve d’une démarche tellement décalée par rapport à l’exigence de déontologie de ses origines.
 En outre, votre quotidien met un deuxième pied dans le monde de la publicité commerciale en accentuant continuellement sa présence en tant qu’annonceur. Outre des campagnes d’affichage et de cartes-réponses, envahissantes et dégradantes pour l’environnement, votre journal s’élève contre la loi qui interdit l’accès de la presse et de la distribution à la publicité télévisuelle, n’hésitant pas en cela à renforcer les positions de la grande distribution.
 Je ne veux pas, Monsieur le Directeur, que ma lecture du Monde participe au financement de la télévision commerciale ni à celui des taxis publicitaires. Je ne veux pas non plus que la publicité grignote toujours plus le rédactionnel de mon quotidien et le conduise à s’aseptiser pour plaire aux annonceurs.
 Espérant que vous aurez compris que ma critique se veut constructive, et dans l’attente d’une réaction de votre part, je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes salutations respectueuses.                             
T.G.