La nouvelle est parue dans Le Monde du 28 octobre 2000 qui
signe dans sa relatation des faits une véritable caricature de journalisme.
Un adhérent de paysages de France a écrit à
la communauté urbaine de Lille pour protester...
Pour la petite histoire, cet article est paru le lendemain de l'envoi de R.A.P.-Echos
n°29 qui dénonce justement le rôle ambigü du Monde
dans le domaine de la publicité (voir Le
Monde bascule).
Nous vous invitons à réagir de même en écrivant
à la communauté urbaine de Lille (24 rue Léon Jouhaux 59000
Lille) ou au Monde(2 bis, rue Claude Bernard, 75005
Paris).
Voici l'article en question :
"Le métro de Lille découvre les vertus de la publicité
APRÈS dixhuit ans de “ pureté ”, le métro de Lille
a cédé aux sirènes de la publicité. Aux yeux de
ses initiateurs, le VAL de Matra, qui était en 1982 le premier métro
automatique du monde, devait se rapprocher autant que possible de la perfection
dans les transports urbains. Ainsi était-il hors de question que des
affiches publicitaires viennent polluer les murs des stations. Cependant, sans
conducteurs, sans vendeurs de billets ni agents d'accueil, le VAL lillois n'est
pas particulièrement rassurant, même si les incidents n'y sont
pas plus nombreux qu'ailleurs, grâce à la télésurveillance.
Après des années d'ascétisme, la communauté urbaine
de Lille et Transpole, la société exploitante,
ont fini par revenir sur le postulat selon lequel la publicité est d'abord
une pollution visuelle. Après un appel d'offres, c'est le groupe France
Rail Publicité, ancienne filiale de la SNCF
rachetée au printemps par le groupe Dauphin Communication,
qui a remporté le marché. Début octobre, les premiers panneaux
sont venus orner les couloirs des stations lilloises. “ Les architectes ont
souvent une vision très épurée des gares qu'ils imaginent
trop souvent sans utilisateurs ”, estime Daniel Cuckierman,
président de France Rail Publicité, qui cumulait
cette fonction avec celle de directeur des gares de la SNCF
jusqu'à la privatisation de la firme publicitaire.
PANNEAUX EXTRA-PLATS
Pour s'insérer dans cet univers, la société d'affichage,
spécialiste des gares SNCF, a créé des
panneaux lumineux extra-plats dans un souci d'élégance. Convaincre
les élus est une chose, encore fallait-il que les usagers apprécient
la nouveauté. Pour ne prendre aucun risque, France Rail Publicité
a commandé une enquête d'où il ressort que plus des trois
quarts des voyageurs préfèrent le métro avec des panneaux
d'affichage plutôt que sans. Mieux encore, près de la moitié
des 702 personnes interrogées estiment que non seulement la publicité
n'est pas dérangeante, mais qu'en plus elle est à la fois distrayante
et informative.
Si la tranquillité des passagers est l'un des soucis des exploitants
du métro de Lille, l'aspect financier de l'affaire est au moins aussi
important. Avec 500 affiches réparties dans les 60 stations du réseau,
l'affichage devrait représenter un revenu de l'ordre de 6 millions de
francs par an pour la communauté urbaine. Pour France Rail,
l'opération est très rentable. La société, qui commercialise
déjà l'espace publicitaire des bus et tramway lillois, dispose
désormais d'un réseau puissant.
Frédéric Roy.
Le Monde daté du samedi 28 octobre 2000 "
Et voici la lettre qu'a adressé à la communauté urbaine
de Lille un adhérent de Paysages de France, Gérald
Bourbon.
"Madame, Monsieur,
S'étonner que le société Transpole exploitante du métro
de Lille et la Communauté Urbaine de cette même ville aient pris
la décision de faire installer de la publicité dans le métro
serait faire preuve de naïveté.
Compte tenu de la tendance désormais bien établie qui consiste
à sacrifier l'espace public aux intérêts de l'argent cette
décision participe tout naturellement de la logique imposée par
la pensée unique à savoir, la marchandisation et l'annexion du
patrimoine national, résultat obligé de la mondialisation tel
qu'on nous l'offre en exemple.
Faire croire comme une litanie que ce genre de décision a été
pris avec le soutien majoritaire d'une population que l'on a consultée
peut, on l'a vu ailleurs, soulever certaines interrogations:
- Interrogation liée aux conditions dans lesquelles ce type de
sondage est quelquefois conduit :
Que vaut en effet l'avis d'une population gavée à n'en
plus pouvoir par une pression publicitaire omniprésente qui à
force de conditionnement réussit à faire ressentir son absence
comme un manque intolérable ? Quelles sont les chances qu'un fumeur de
haschich s'oppose à la légalisation de son addiction
dans ce monde qui à bien des égards s'apparente de plus en plus
au "Meilleurs des Mondes" d'Aldous Huxley ou à "1984" de George Orwell?
- Interrogation liée au présupposé selon lequel
en l'occurrence il suffirait qu'une majorité se dessine pour qu'on puisse
décider de passer outre à l'avis d'une minorité qui n'aurait
pas voix au chapitre parce qu'elle a le malheur de penser qu'une liberté
de choix doit être offerte à l'usager, liberté qui existe
d'ailleurs quand la publicité se cantonne à des espaces où
elle peut être choisie ou refusée (télévision, radio,
journaux ). A ce propos bien que ce sujet ne soit opportunément jamais
posé on ne voit pas très bien comment peuvent être conciliées
les valeurs démocratiques fondées sur le libre choix et celles
de l'affichage publicitaire toujours imposé par nature.
- Interrogation liée à l'interprétation du sondage
lui-même :
Quel est le degré de fiabilité de l'analyse qu'en fait
Monsieur Frédéric Roy dans un article du Monde
daté du 28 octobre 2000 intitulé " Le métro de Lille découvre
les vertus de la publicité" quand il indique:
"Mieux encore, près de la moitié des 702 personnes interrogées
estiment que non seulement la publicité n'est pas dérangeante
, mais qu'elle est distrayante et informative."
Pourquoi en l'occurrence n'a-t-on pas retenu la formulation suivante: "Pis
encore, plus de la moitié des 702 personnes interrogées estiment
que non seulement la publicité est dérangeante mais qu'elle n'est
ni distrayante ni informative."? Formulation qui par la magie du verbe aboutirait
à une conclusion diamétralement opposée!
On aurait pu tout aussi bien citer la sondage de l' Union Fédérale
des Consommateurs de Gironde faisant apparaître que pour 87,6
% des sondés les panneaux publicitaires sont une nuisance
pour le paysage, pour 72,9% une nuisance pour l'environnement en général
et que pour 56% ne sont pas un bon moyen d'information du consommateur.
- Interrogation, enfin, liée à l'idéologie de plus en
plus habilement véhiculée selon laquelle un monde sans publicité
est un monde triste et laid. A qui fera-t-on croire que la nature n'est pas
capable de proposer des paysages autrement plus éblouissants que ces
alignements de panneaux publicitaires (dans le métro Parisien ou ailleurs)
qui font que nos voisins Britanniques n'hésitent même plus à
parler de "French disaster" quand ils évoquent le traitement bien français
que nous infligeons à nos paysages? Quel aurait été le
choix des usagers Lillois si à la place des 500 affiches prévues
on leur avait proposé d'installer 500 bacs à fleurs....?
Dans ce cas comme dans bien d'autres, on a peut-être à tort
le désagréable sentiment que les dés semblent pipés
et que confronté à l'impossibilité de trouver des financements
adéquats on est amené, pour se dédouaner, à justifier
à posteriori une tentation à laquelle on n'a pas eu le courage
de résister.
Le loup n'aurait pas besoin de forcer l'entrée de la bergerie, il saurait
qu'il pourrait compter sur la bienveillante compréhension des bergers
et que la porte serait un beau jour entrouverte.
Ce phénomène va-t-il prendre des proportions au point de faire
penser à une sorte d' O.P.A inamical lancé sur l'espace
public? Allons-nous être confrontés à une ras de marée
ayant l'apparence d'un raid profitant de notre passivité collective à
opposer une "NONdialisation" à la mondialisation? L'insidieuse
transformation de la cité en support publicitaire? On préfère
ne pas l'envisager.
En France, l'usager confronté aux 89 000 faces publicitaires des métros,
aux 20 000 faces publicitaires des gares, aux 59 000 faces des bus et aux 200
000 supports grands formats des villes n'est peut-être pas encore totalement
lobotomisé au point de ne pas avoir constaté les dégâts
environnementaux colossaux qu'a induit l'orgie publicitaire à laquelle
notre pays s'est complaisamment soumis? Entrées de villes saccagées,
zones commerciales lunarisées, boulevards extérieurs défigurés.
Un apartheid environnemental touchant, bien entendu, très souvent
les populations les plus démunies.(1)
Avec 11,7 % de la part du marché publicitaire l'affichage dépasse
dans notre pays largement ce qui se pratique ailleurs dans le monde (
2,6% en Italie, 3,3% aux USA, 8,3% en Allemagne, 8,4% en Grande Bretagne ).
10000 panneaux en trop selon certains. Faut-il en rajouter?(2)
A qui fera-t-on croire que les Francilliens qui sont exposés quotidiennement
28mn en moyenne à l'affichage publicitaire se réjouissent de cette
honte qu'est devenu le métro Parisien?
Dès lors qu'ils sont publics les paysages urbains sont des paysages
comme tous les autres et comme tous les autres ils doivent relever de la loi
Barnier du 2 février 1995 stipulant qu'ils font partie du patrimoine
de la nation.
Le métro de Lille ne fait pas exception à la règle
et les usagers qui l'empruntent ont le droit de bénéficier d'un
environnement non pollué par la publicité. Il n'appartient pas
à ceux qui apprécient la publicité de l'imposer mais d'utiliser
tous les moyens disponibles actuellement pour pouvoir assouvir leur "passion"
sans attenter à la liberté des autres ( radios/téléviseurs/pc/agendas
électroniques avec oreillettes ).
Une loi Evin de la publicité doit donc impérativement
être élaborée pour que les droits de tous soient préservés.
L'exacerbation du réflexe d'achat entretenue artificiellement par la
publicité nourrit la locomotive incontrôlée lancée
à pleine vitesse vers le gouffre des catastrophes naturelles de toutes
sortes ( effet de serre entre autres) qui se profile à l'horizon. Ce
serait faire preuve d'une grande naïveté encore que de croire que
cette donnée a été prise en considération .
Il faudra donc que ce qui doit nous arriver nous arrive pour que nous y croyions.
Il faudra alors feindre la surprise et appeler à la rescousse l'opportun
et inusable "responsable mais pas coupable" que notre société
prévoyante et suicidaire a su se forger.
Veuillez agréez Madame, Monsieur l'expression de ma conscience
environnementale. "